Propos
L'histoire de Pygmalion, on connaît : l'artiste sculpte une statue de femme si belle qu'il s'en éprend, et qu'elle prend vie. Mais imaginez maintenant qu'après une bonne vingtaine d'années, le corps vivant et vieillissant de Galatée n'attire plus le Maître... Et rajoutez une fille issue du couple qui ressemblerait comme deux gouttes d'eau à la statue originelle.
À travers ce mythe revisité, l'auteur s'interroge sur l'art, l'amour, la filiation, l'opposition entre nature et culture, idéal et réalité, foi et désespérance, la tyrannie de la beauté et la misogynie.
Il s'amuse également à mêler les langages et les genres, le grossier et le lyrique, les alexandrins et un prologue en prose, le franglais et des expressions comtoises, le grotesque et le tragique, l'accord grammatical habituel et la règle plus égalitaire de proximité qui veut que mieux répartis, les hommes et les femmes sont plus belles.
Personnages
- Pygmalion : le génie misogyne, misanthrope, adulé mais seul
- Galatée : la femme rêvée, façonnée, puis délaissée et sacrifiée
- Métharmé : l'héritière, façon Iphigénie ou Électre
- Le disciple : se serait bien vu lui aussi l'héritier
- La bonne : les pieds sur terre, et bien la seule
- Le visiteur : monsieur tout-le-monde, fâcheux pour l'un, touchant pour l'autre
Composition
- 1 prologue + 2 parties de 3 actes découpés en 11 + 1
- des dodécasyllabes distribués en 2 époques égales
- 11 x 151 paires de rimes, et pas 2 pareilles
- des citations bibliques et bien d'autres
Docteur en astrophysique devenu informaticien et syndicaliste, féru de chiffres autant que de lettres, ténor amateur et accordéoniste toujours débutant, Franc-Comtois installé à Paris après avoir vécu en plusieurs pays (Canaries, Allemagne, Brésil), Sébastien Picaud Roux goûte de l'éclectisme.
Les rimes et les alexandrins l'accompagnent depuis sa tendre enfance, la mythologie grecque et le théâtre classique depuis l'adolescence, la phisolophie depuis les débuts l'âge adulte, et les questions féministes depuis longtemps. Sa première œuvre de fiction, Pygmalion en famille vient en un sens accréter tout cela... après une quinzaine d'années de labeur en intermittences.
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Fin I
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I - acte 2
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II - acte 1
Mon nom est Métharmé,
Fille que Pygmalion eut avec Galatée,
La beauté que lui-même avait jadis sculptée
Et dont il s'éprit. Lors, lui devenant si chère
La sublime statue mua femme de chair,
Mais son corps a mûri, les lustres l'ont meurtri
Et la plus belle rose est désormais flétrie
Au regard de cet homme ayant fait sa culture :
Les femmes sont tuées bien avant les sculptures.
Son corps, sa chair pour lui sont vestiges s'usant
Dont les murs décrépits ont courbé sous les ans,
Un marbre dépoli dont plus rien ne subsiste !
C'est à peine à ses yeux si même elles existent
Sinon pour mieux râler : reclus dans son chantier
À ses sacrées statues il se consacre entier...
Est-ce là le Salut de l'apprenti sorcier :
Tant s'isoler des siens par la porte d'acier
Qui repousse au-delà celles qu'il a conçues ?
L'alchimie s'est brisée sous ses coups de massue !
Lui qui laissa son art pour sa famille heureuse
La fuit depuis longtemps comme pomme véreuse !
À quoi bon élever la Beauté en ces murs
Si c'est pour la jeter comme un fruit par trop mûr ?
Mais si le divin charme est rompu ici-bas,
La duchesse déchue se rebelle et se bat :
Elle n'accepte pas cette haine tueuse
Répond en répandant sa hargne impétueuse
Comme chienne enragée ne voulant pas mourir,
Comme poire oubliée refusant de pourrir,
Comme expire un écho dont un râle demeure...
En vain : je suis le fruit d'un espoir qui se meurt :
Je ne suis que l'enfant d'un vœu malencontreux,
D'une lune sombrant, d'un désir désastreux.
Car l'Art est Vérité bien plus que tout au monde,
Loin des hypocrisies de ces bourgeois immondes,
Codes vains de l'amour ou de la politesse,
Roucoulades du duc auprès de sa comtesse :
Ànnonant ses vers fats dont sa grue se délecte,
Notre duc à son bec arrose son dialecte
Et brame à qui mieux mieux ses plus beaux boniments :
Il bave cent galons de miéleux compliments
- Vous êtes le phœnix des hôtes de ce bois... -
Et l'autre encor plus con toute flattée les boit !
Ah mots vides, mots vains, mots vils pleins d'indécence !
Et tout langage humain n'aide ainsi par essence
Qu'à déformer l'Idée et altérer le Vrai,
Quand à son expression on croyait qu'il œuvrait !
Un je t'aime avoué n'est déjà qu'un mensonge :
Trois mots seuls, réducteurs, n'attestent pas d'un songe...
Ah, dans ce monde bas tout n'est que vanité
Quand dans celui de l'Art chante la Vérité !
LE JEUNE DISCIPLE
Mais l'art en étant, Maître, en lui-même un langage,
Ne porte-t-il donc pas en ses propres bagages
Et qui plus est fardé de retouches nombreuses
L'altération du vrai selon vous ténébreuse ?
PYGMALION
Bonne question, vraiment ! Non, loin d'être arbitraires,
Tous ses coups de ciseau ne servent qu'à extraire
D'une grossière blende un si pur minerai !
Caché dans de la boue un trésor apparaît
Comme sous sa peau d'âne une enfant du palais,
L'âme d'un cyrano sous un visage laid...
Des entrailles du temps, remontant comme un flux,
Naît l'Œuvre délestée de tout le superflu !
Comprends bien le fossé entre la Vérité
Et son ombre pâlie qu'est la réalité...
Oui l'Art est Vérité, car vierge d'artifice,
Langage sans vernis et parole sans vice
Qu'en effeuillant un voile il nous faut retrouver :
Qu'il surgisse du cœur ou provienne des fées,
Qu'il soit conscient ou non, clair ou sous-entendu,
Que le geste soit simple ou qu'il s'avère ardu,
Que le fusain tempère ou que le burin fuse,
Quelles que soient les fins, quoi que les causes fussent,
À chaque coup porté sur son Œuvre en suspens
C'est un peu plus de Vrai que l'artiste répand !
Et qu'il ne répand pas comme une action fugace
Qui à peine jetée s'étiole comme un gaz...
Non : l'Art naît pour durer, s'embaume d'éternel,
Quand la Terre en tournant, macabre ritournelle
Érode ses rochers, déracine ses pins !
Quel portrait vieillira si l'artiste l'a peint ?
Quelle fleur peut faner que l'artiste crayonne ?
Quel corps peut se flétrir si de l'Art il rayonne ?
Ah pleure mon destin de femme délaissée !
LA BONNE
Vous vous croyez seule ?
GALATÉE
Le corps plie, la peau plisse,
Les trouves-tu belles, toi ma chère complice ?
Ces cheveux parsemés, un bon tiers déjà gris
Secs tel un pain rassis, et comme un vin aigri
S'écoulent sur mon front tout un tas de ridules !
Des ridules, j'ai dit ? Des vagues qui ondulent !
Les yeux las, le nez fat, regarde-voir mes dents :
Jaunes comme un lait tourné, et pires dedans !
Le cou se ramollit, la poitrine s'affaisse,
La taille s'élargit, et tâte donc ces fesses
On est bien loin, je crois, des Vénus callipyges !
Une gueuse !
LA BONNE
Madame...
GALATÉE
Une gueuse, tu piges ?
Et mes jambes, pardi : peste soit des varices
Qui se démultiplient sans aucune avarice !
Vois ma décrépitude ô toi qui m'a vue naître,
Ou presque... Moi, désormais condamnée à n'être
Qu'une épave, une ruine, un débris sans attrait...
Une ruine, te dis-je, une ruine !
LA BONNE
C'est très
Exagéré...
GALATÉE
Comment ? Exagéré dis-tu ?
Toi qui me vis gagner puis perdre mon statut ?
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